Un avocat parle de génocide en Palestine
On le fait dès qu’on peut mais on n’a pas si souvent que ça l’occasion à Libres Commères de protester contre le génocide palestinien. D’une part, les témoignages accablants ne manquent pas sur les réseaux sociaux et ils n’ont pas besoin de nous pour être parlants. D’autre part, si on ne peut pas passer ces massacres sous silence, notre attention ne peut pas être focalisée sur le Proche Orient : la corruption et la décadence de notre propre classe dirigeante en réclament une bonne part.
Mon soutien à la cause palestinienne est indéfectible, je respecte les prises de position de Rima Hassan, et le discernement dérangeant dont elle fait preuve, et je condamne le harcèlement policier et médiatique dont elle fait l’objet. Néanmoins, les forces d’opposition au régime de Macron & cie auraient tort de s’engouffrer « sans réserves » dans ce conflit. Qu’on s’insurge contre le colonialisme sioniste, très bien ! Qu’on boycotte au supermarché, très bien ! Qu’on fasse pression sur le gouvernement français pour qu’il interdise la livraison d’armes à Israël, très bien ! Qu’on claque le beignet à tous les cinglés qui soutiennent Netanyahu et sa clique d’ultras, très bien ! Qu’on manifeste de temps à autre en ville pour rappeler aux chalands que c’est ignoble de laisser une population entière se faire lentement exterminer pour que des promoteurs immobiliers récupèrent leurs terres, on a le devoir de le faire !
Mais la gauche militante ne doit pas se noyer dans cette dénonciation, aussi indispensable soit-elle, et en oublier son « coeur de lutte » : le social. Elle s’est déjà fait « piéger » à de multiples reprises par les questions sociétales. Ces causes doivent être portées et défendues par celles et ceux qui sont concernés en premier lieu et soutenues par le plus grand nombre quand c’est nécessaire.
Les Palestiniens ont besoin aujourd’hui d’un soutien populaire international parce que c’est leur dernière chance de survivre.
Aussi quand le Réseau pour une Paix juste au Proche Orient et les sections doloise et chalonnaise de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) ont invité mercredi 16 avril une pointure en matière de droit international, je me suis dit qu’on ne pouvait pas passer à côté. Patrick Baudouin est avocat du barreau de Paris et à la Cour Pénale internationale (CPI) de la Haye. Il a été président de la LDH de 2020 à 2024, c’est dire s’il n’a pas chômé, et il est actuellement président d’honneur de la LDH. Ce n’est ni une tête brûlée ni un influenceur. Il pèse ses mots et en connait le poids.
Je vais ici résumer un certain nombre de points juridiques de son intervention et les réponses qu’il a apportées à certains questions.
On sait que le droit international existe mais on ne peut que constater qu’il est constamment violé. Il existe donc une contradiction apparente mais il faut garder le cap malgré tout.
Depuis sa création, Israël viole constamment et en toute impunité le droit international. D’emblée, en 1947, le gouvernement de Ben Gourion a pris en termes de pourcentage territorial plus qu’il n’était prévu dans la résolution des Nations Unies. (Pour la Nakba et le droit au retour, voir plus bas)
En novembre 1967, à l’issue de la Guerre des 6 jours, la résolution 242 du Conseil de l’Onu fixe deux principes qui demeurent clef : a) les territoires occupés doivent être restitués (Gaza, Cisjordanie, Golan, Jérusalem est, Sinaï), b) fin de l’état de belligérance pour une solution pacifique. Cette résolution a valeur exécutoire et Israël aurait dû s’y plier. Seul le Sinaï sera restitué à l’Égypte.
A l’issue de la Guerre du Kippour en 1973, la résolution 338 reprend la même ligne sans aucun effet.
Les accords d’Oslo en 1993 ont soulevé un espoir de paix mais il a été rapidement détruit : les responsabilités sont à chercher des deux côtés, chez les extrémistes israéliens et palestiniens qui ne voulaient pas de cette paix. Ils sont tout fait pour saborder le processus et leur objectif a été atteint avec l’assassinat d’Yitzhak Rabin en 1995 par un extrémiste juif.
A la suite de la deuxième Intifada en 2000, la construction d’un mur de séparation a été déclarée irrégulière et illicite par la Cour Internationale de Justice toujours au regard du droit international. En juillet 2004, un arrêté enjoint à Israël de démolir ce qui a été construit. Israël a poursuivi comme si de rien n’était.
En 2006, lorsqu’Israël se retire de la bande de Gaza, quoi qu’on pense du Hamas, c’est lui qui remporte les élections. Par la suite, Netanyahu exercera une politique perverse en s’appuyant sur le Hamas extrémiste pour mieux affaiblir l’autorité palestinienne de Cisjordanie plus modérée et encline à négocier.
En 2012, la Palestine s’est fait reconnaitre le statut d’« État observateur permanent non-membre » par l’Onu et a pu adhérer en 2014 au statut qui lui permet de relever de la Cour Pénale Internationale. A partir de 2015, la CPI est devenue compétente pour les crimes de guerre, de génocide et contre l’humanité commis sur le territoire palestinien.
La résolution 2334 du Conseil de sécurité en 2016 enjoint de manière très précise et encore plus contraignante à Israël de stopper la colonisation qui s’est poursuivie et qui se poursuivra malgré tout jusqu’à aujourd’hui.
Jusqu’en 2018, Israël se targuait d’être la seule démocratie du Proche Orient et il y avait une « part de vérité » dans ces propos malgré la discrimination envers les Palestiniens. La Fédération Internationale des Droits de l’Homme par l’intermédiaire d’organisations israéliennes arrivaient encore à obtenir quelques résultats auprès de la Cour Suprême en Israël.
En juillet 2018, par une loi constitutionnelle, Israël devient « l’État nation du peuple juif » et la colonisation devient un « objectif national » qu’il s’agit d’encourager et de renforcer. La loi israélienne elle-même est par conséquent en contradiction avec les résolutions de l’Onu.
L’opération du 7 octobre 2023 lancée par le Hamas a été immédiatement qualifiée par la LDH de « crime de guerre, voire de crime contre l’humanité » avec des « actes de barbarie injustifiables et condamnables y compris sur le plan pénal ».
Le 26 janvier 2024, à l’initiative de l’Afrique du sud et sur la base de la Convention pour la Prévention et la Répression du Génocide signée après la Seconde Guerre mondiale, au terme d’une analyse très précise de ce qui se passe à Gaza, la Cour Internationale de Justice a estimé qu’il y avait « un risque réel et imminent qu’il existe un préjudice irréparable susceptible de conduire à un génocide ». La cour donnait alors un délai d’un mois à Israël pour cesser toutes les opérations (bombardement des civils, destruction d’hôpitaux et d’infrastructures civils, déplacements de populations, soumission de la totalité des Palestiniens de Gaza à des conditions d’existence pouvant entrainer leur destruction) et venir rendre des mesures prises. Israël a continué comme si de rien n’était.
En octobre 2024, la CPI a délivré des mandats d’arrêt internationaux à l’encontre de Netanyahu et de son ministre Gallant pour crime de guerre. Théoriquement, si l’un deux venait sur le territoire d’un des pays signataires, cet État serait tenu de procéder à son arrestation. Il n’existe pas d’immunité contre les crimes de guerre et les crimes de masse. Mais les États-Unis, la Russie, Israël et un certain nombre d’autres pays n’ont pas ratifié le statut même de la CPI.
Même si ce n’est pas exécuté, Patrick Baudouin continue à affirmer qu’il faut considérer cela « comme un énorme progrès ». Netanyahu peut affirmer qu’il se fiche de la CPI et qu’elle est politisée, il n’empêche que ces mandats d’arrêt lancés par des magistrats indépendants désignés par les Nations Unies le dérangent, lui et tous les dirigeants visés, Poutine y compris. C’est d’ailleurs pour ça qu’ils tentent continuellement de la discréditer.
En conclusion, Israël viole constamment le droit international et les leviers (politiques, économiques, financiers) ne sont pas suffisamment utilisés pour lui imposer d’arrêter ces massacres que la LDH définit explicitement aujourd’hui comme un génocide.
Laisser faire sans rien dire ce qui se passe en Palestine attise l’antisémitisme. A contrario, dénoncer ce génocide sans détour permet de bien dissocier un État condamné au nom du droit international d’une population israélienne qui ne le soutient pas dans son intégralité et surtout d’une communauté juive internationale qui refuse d’être associée à ces actes criminels.
En réponse à une question de la salle à propos du deux poids deux mesures sur les franco-israéliens qu’on laisse impunément s’engager dans l’armée israélienne (vidéos indignes à l’appui) et les jeunes qui sont partis servir Daesh et qu’on a emprisonnés, Patrick Baudouin a expliqué que la LDH n’est pas restée inactive à ce sujet. Des plaintes ont été déposées en France contre ces binationaux engagés avec Tsahal. Le Parquet National Antiterroriste n’a pas retenu une plainte simple et la LDH s’est constituée partie civile. Les cas de ce genre sont à faire remonter à la LDH. En revanche l’avocat a reconnu que lorsqu’il s’agit de Français qui partent en Irak ou en Syrie, la justice n’a pas tardé à ouvrir des informations. Patrick Baudouin a donc confirmé le deux poids deux mesures selon qu’on soutienne Israël ou le peuple palestinien. Impunité d’un côté, risque pénal de l’autre.
En théorie, si le fait de faire partir de force les Palestiniens de leur territoire en 1947 est considéré comme illégal comme ça l’est par le droit international, le droit au retour est inscrit dans la condamnation même de la Nakba. En pratique, ce n’est pas toujours évident mais le droit au retour lui-même droit être réaffirmé malgré tout.
En ce qui concerne l’existence même de la Palestine, Patrick Baudouin a rappelé qu’il faut dissocier le fait et le droit. Si l’on peut constater qu’il existe des Palestiniens et des territoires sur lesquels ils vivent, encore faut-il qu’un État palestinien doté d’un gouvernement soit reconnu par les Nations Unies. Le combat juridique consiste à faire adopter ce statut par le reste du monde mais le morcellement du territoire par la colonisation rend cette perspective de plus en plus fuyante.
Une question de la salle a également soulevé le problème de la légitimité de la CPI et de la CJI à qui on reproche de condamner des dirigeants qui n’appartiennent pas au cercle fermé des « démocraties occidentales » (NDLR : enquête en cours à la CPI : Ouganda (2004), République démocratique du Congo (2004), Soudan (2005), Centrafrique I (2007), Kenya (2010), Libye (2011), Côte d'Ivoire (2011), Mali (2013), Centrafrique II (2014), Géorgie (2016), Burundi (2017), Bangladesh/Birmanie (2019), Afghanistan (2020), Palestine (2021), Philippines (2021), Venezuela I (2021) et Ukraine (2022). Deux examens préliminaires sont en cours : Venezuela II (2020) et Nigeria (2020)). Patrick Baudouin a répondu qu’une fois de plus, tous les pays ne reconnaissent pas l’existence même de cette justice internationale et que le droit ne peut pas alors s’appliquer partout. C’est le cas des États Unis et la menace récente de Donald Trump de poursuivre les juges eux-mêmes montre qu’il existe une « grande alliance de l’extrême droite » de Poutine à Milei, en passant par Meloni et Netanyahu, et que c’est de là que vient la menace. Cette idéologie est la négation même du droit puisque l’extrême droite applique la loi du plus fort.
Merci à Patrick Baudouin d’être venu à Dole nous rappeler ces principes du droit international, mais aussi leur impossible application dans l’état actuel du monde.
Si j’avais une critique à faire, ce serait toujours dans cette idée de deux poids deux mesures. Poutine « qui enlève et russifie des enfants » en a encore pris pour son grade et j’ai entendu l’avocat évoquer les Ouighours. En revanche, pas un mot sur Guantanamo et Obama, George W. Bush et l’Irak, les bombardements de Belgrade par l’Otan contre l’avis de l’Onu, tous les méfaits de la CIA. La CPI et la CJI n’ont pas l’air très pressées de regarder de ce côté-là du monde. Mais ce n’était pas le sujet de cette rencontre.

À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.