Mode sombre

La 11ème édition des 24h de la réal de la MJC, ouverte à la participation aux 15/25 ans, a bien occupé ce week end une tripotée de jeunes avec un thème imposé : l’effondrement. Accompagné d’un petit laïus donnant la définition climatique, on pouvait craindre que les 10 équipes prennent le mot au pied de la lettre, se contentant de traiter le thème au premier degré. C’était sans compter sur l’esprit rebelle de nos réalisateurs, et ça tombe bien, car la désobéissance, c’est à peu près la meilleure posture à adopter face à l’effondrement.

Initiée par Dole, l’expérience s’est propagée au national depuis 4 ans, avec 10 sites MJC proposant le défi. Chaque équipe gagnante de chaque site se retrouve ensuite sur Paris pour un nouveau concours. Et les gagnants du national se voient offrir, pendant le festival de Cannes, une projection sur place, à la MJC, et des pass pour manger de la pellicule dans les salles obscures. Jolie expérience, en définitive. Dole y est déjà parvenue une fois ! Fierté !

Disposant donc de 24h, caméras et perches-sons en mains, ils s’agissait d’écrire le scenar, les dialogues, les voix off, de tourner, réaliser et monter son film. Certains jusqu’au-boutistes se sont même collés à la musique. Adieu sommeil, bonjour caféine. Celle là-même qui vous parle en a fait les frais il y a plusieurs années en présentant un court-métrage dénué de talent, mais qui n’aura pas non plus traumatisé qui que ce soit puisqu’il est sorti de la mémoire collective, et même de la mienne. Bref, le défi est toujours complètement bluffant, surtout que chaque année nous réserve son lot de talents.

La projection des 10 films, ce dimanche matin, a fait quasi salle comble au cinéma. Sous le regard bienveillant d’un jury composé de quatre personnes très compétentes en la matière, dont on passera le CV.




Nous sommes passés par toutes les interprétations possibles du thème, des grands axes d’écriture. Nous avons traversé la mort plusieurs fois, mais aussi l’absence, la férocité du huis-clos, la violence conjugale, l’errance, l’abandon, la trahison, l’instinct primal, le meurtre, le suicide, le feu, la folie, l’amnésie, l’indifférence. Et même l’humour et l’absurde y ont trouvé leur place !

Finalement, l’effondrement,  du point de vue de la jeunesse, lorsqu’il est imaginaire, n’est pas immédiatement synonyme de solidarité, d’entraide, de coopération, de collectif et de rassemblement. Ce qui sous-entendrait peut être qu’en la matière, on y voit davantage la finalité, l’animalité de la survie grégaire, plutôt que tout le chemin qui nous emmène vers le déclin et de « comment on peut au moins faire ralentir la bagnole qui fonce dans le mur ? ». Finalement, ça traduit de la peur. On flippe grave. Même si c’est plus doucement, la voiture foncera au tas quoi qu’il advienne. Une équipe résumera son court par la phrase « Ce que nous avons voulu montrer, c’est que quand on voit l’effondrement, on se rend compte qu’il est là depuis le début ». De quoi méditer un bon bout de temps, n’est-ce pas ? Et alors qui serions-nous, dans un ultime état d’urgence ? Les réponses proposées ont été plutôt honnêtes, au regard du jeune âge des participants. Sans prétentions, sans trop de moyens et sans temps, on peut déjà faire de grandes choses.

Mais cette année, c’est l’équipe de Louis, Samuel et Louise qui remporte la palme, avec leur court « Demain, peut-être ». Et c’est aussi mon coup de cœur.



Ces trois lycéens en terminale option ciné au Lycée Pasteur racontent, à travers les rues de Dole, l’histoire d’un jeune garçon qui lit la correspondance de sa mère expliquant pourquoi elle décide d’arrêter de lui écrire et ce qu’il représente pour elle. Un adieu épistolaire, lu par une voix off, et bouleversant d’intensité et de réalisme. On a touché à la complexité des sentiments, au désarroi, aussi. Et on assiste à l’effondrement… du personnage, qui trouve sa réponse dans une solution proposée par sa mère absente : la religion. Les lumières douces des vitraux, des cierges, des devantures de magasins à la tombée du jour, ainsi que la bande son parfaitement choisie, renforcent et soutiennent l'émotion du protagoniste... Et la nôtre ! Ils nous emmènent, au travers du dénuement final du personnage et de sa nouvelle naissance, tout droit à la question du cycle. C’est avec pudeur et humilité qu’ils me résumeront tout ça : « Chaque effondrement implique un recommencement ». Et le parallèle est intéressant : Qu’est ce qui nous tient, nous soutient, nous redonne espoir, face aux changements du climat, au déclin de la biodiversité ? Et après ? On sera qui ? On fera quoi ?

Et bien pour moi, voir cette jeunesse qui s’exprime avec intelligence, créativité, authenticité et maturité, voilà qui me réconforte ! C’est beau ! Non, la jeunesse n'est pas bonne qu'à "brailler sous les fenêtres du maire" pour parler de climat. Nous les encourageons par ailleurs à brailler, que ce soit sous les fenêtres, sur les pellicules ou dans les oreilles des sourds.


Voici donc, pour votre plus grand plaisir, le film lauréat !


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À propos de l'auteur(e) :

Katalyne Randoulet

Travailleuse sociale en rémission professionnelle. Militante de l'amour. Éprise de maïeutique et de poésie nocturne. J'ai arpenté tous les chemins. Et ils mènent tous au rhum.


Empêcheuse de tourner en rond.

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