Mode sombre

Place du Prélot, alors que les terrasses n’ont toujours pas rouvert, est descendu subrepticement du ciel pendant le week-end de l’Ascension un de ces chalets qui poussent comme des champignons pendant les fêtes où on s’empiffre. On y vendra comme d’habitude dans ce genre de cahutes de la malbouffe des frites grasses, des crêpes élastiques et des sodas américains… avec l’accord municipal bien entendu et tout cela au nom de la libre entreprise, du commerce et de l’emploi. J’entends déjà les leçons des commentateurs jean-michel-apathiques.

Contrairement à la plupart de ces bonnes âmes, mes revenus ont dégringolé depuis le début du confinement. En dehors des cours, je vis de la promotion culturelle : autant dire que la crise me touche de plein fouet. Je ne hurle pas pour autant à la réouverture des théâtres et des festivals, et au retour des papiers d’annonce dans la PQR. Je ne pense pas que ce soit une priorité mais je suis bien évidemment à fond pour que nos impôts soutiennent financièrement la création artistique jusqu’à la reprise. Je ne fais absolument pas confiance au gouvernement ni au Ministère de la culture pour une quelconque équité mais on peut encore espérer que l’administration ne laissera personne crever de faim dans les coulisses et les ateliers. 

Puisqu’on parle de faim, revenons-en à la malbouffe, à la pollution, au stress et à la sédentarité qui sont les quatre plus grands facteurs à l’origine des maladies chroniques « qui rendent une infection au SARS-CoV-2 potentiellement fatale à certains patients déjà lourdement touchés par ces maladies de société, alors qu'il est bénin pour les personnes en bonne santé. » Je m’appuie là sur Jean-Dominique Michel, un des penseurs non-apathiques que l’épidémie a révélés. Les articles de son blog sont empreints d’une sagesse féconde même si, personnellement et par prudence, j’aurais ajouté un généralement devant bénin.

Le virus a notamment touché et tué des personnes fragilisées par notre mode de vie occidental où le profit du capital nous fait manger n’importe quoi, respirer la mort, stresser comme des malades et végéter devant les écrans. Je généralise bien évidemment mais notez que le confinement n’a pas arrangé les choses sauf pour la qualité de l’air dont on n’a malheureusement pas pu tous profiter de la même manière sur un balcon du 93 ou dans un jardin du 39.

L’anxiété devant la télé a été savamment orchestrée par le Ministère de la santé avec un décompte morbide et mortifère tous les soirs pendant deux mois. Les supermarchés ont explosé leur chiffre d’affaire, à tel point qu’il n’y avait plus qu’eux à acheter de la publicité dans le journal local (à part Amazon, les banques et les mutuelles santé). La grosse artillerie du capitalisme prédateur (c’est un cliché mais j’ai pas mieux en rayon) a pilonné notre quotidien sans scrupule, encaissé notre fric tout en se réjouissant secrètement de la mort des plus faibles… économiquement bien évidemment, n’allez pas plus vite que la musique !

Pourtant, tout le monde espère un après différent. « Ça ne peut plus continuer comme ça », entend-on dans la bouche de ceux qui hier encore chantaient les louanges du libéralisme : je rappelle que la base du libéralisme économique selon Hayek, c’est que tout ce qui est produit par l’homme peut se vendre sur le marché et que le prix contient tout ce que le consommateur a besoin de savoir. A trois euros la barquette de frites, vous ne pouvez tout de même pas vous attendre à une huile de friture vierge, une pomme de terre bio coupée à la main et un apport énergétique digne d’une salade de fruits fraiche. 

On entend partout qu’on ne peut plus continuer à sillonner le monde en jumbo jet, à changer d’I-phone tous les ans ou à manger du pangolin à la vinaigrette. Sauf que nous, on le faisait déjà pas.

On entend partout Nicolas Hulot qui annonce que « le temps est venu de changer de cap ensemble ». Sauf qu’on prend les mêmes et on recommence. Les bourgeois de droite comme de gauche, productivistes ou écolos, vont quand même pas se laisser abattre et attendre l’apocalypse sans y mettre leur grain de sel. Certes l’Allemagne, et l’Europe dans sa roue, déroge au sacro-saint 3% de déficit public pour injecter des centaines de milliards dans l’économie. Plus keynésien, tu meurs ! Mais où va l’argent ? Chez Air France et Renault ? Bayer et Siemmens ? Les GAFA vont-ils arrêter de stocker inutilement des données qui font chauffer des bécanes géantes pour mieux nous contrôler ? Les fonds de pension qui auront prêté tout ce pognon dont ils ne savent plus quoi faire nous en feront-ils gentiment cadeau ? L’industrie de l’armement doit-elle repartir ? S’est-elle même arrêtée ? Aura-t-on les LBD commandés à temps ?

Je ne le répèterai jamais assez : ce sont les imbéciles qui nous ont mis dans le fossé qui vont nous conduire droit au précipice. Des gens comme Jeff Bezos d’Amazon ou les mousquetaires d’Intermarché, les inspecteurs des finances dévoyés et les élus locaux trop bien nourris ne sont pas re-programmables, ni même amendables. A part les masques, le conseil municipal de Dole ressemble furieusement à ce qu’on connaissait et ça ne va pas changer : il a été élu à la disproportionnelle (29 places sur 35 avec 61,55% des voix seulement) par une population vieillissante et conservatrice qui n’a pas spécialement envie de bouleversement. Une grande majorité s’en fout (62,58% d’abstention) ou ne croit plus aux élections. Macron a lui-même été mis à l’Élysée par le grand capital français, sous couvert du vote d’électeurs pleins d’une fausse conscience qui, après avoir fait du « tout sauf Mélenchon et l’Avenir en Commun », ont crû faire barrière au fascisme lepéniste pour finalement tomber sur Lallemand, Castaner et Benalla. Sans oublier que nous sommes sous la férule bien plus cinglante d’Angela Merkel qui a de longues heures de vol dans le cockpit. Et on nous parle d’un après qui ne sera pas comme avant ? Laissez-moi rire !

Je laisse à Jean-Dominique Michel le soin de presque conclure :

« En fait je crois qu'il ferait sens et je rêverais que nous tous qui avons plus de trente-cinq ans, nous renoncions en bloc aux responsabilités politiques en cédant la place aux plus jeunes.

En osant dire, avec une sincère contrition :

Nous sommes profondément désolés, nous avons échoué à construire un monde juste, digne et durable, principalement parce que notre manière de penser le réel est trop limitée et que nous nous sommes révélés inaptes à appréhender avec pertinence la complexité des choses.

Nous vous demandons pardon pour cet échec, dont vous et vos enfants porterez l'essentiel des conséquences.

Nous avons été égoïstes, imprévoyants et prétentieux, inaptes à reconnaître nos erreurs et notre incapacité à agir convenablement.

Nous vous laissons la place dans l'espoir que vous soyez plus malins et capables que nous l'avons été.

Restant à disposition pour réfléchir ou imaginer avec vous des solutions. Mais renonçant au pouvoir que nous avons si mal exercé. » (Sic)

Alors, alors… moi qui ne suis plus tout jeune et qui appartiens à cette génération qui a sérieusement foiré (j’ai à peu de choses près l’âge du député Sermier), je ne vais pas me retirer en tongues dans ma thébaïde (tour d’ivoire pour amateurs de Huysmans) et je vais continuer à faire le zouave avec mes pancartes et mes articles dans Libres Commères. Je vais continuer à suivre Jean-Marc Jancovici, Bernard Friot, Georges Kuzmanovic ou Emmanuel Todd. Je vais continuer à participer aux trois ou quatre petites bricoles que j’ai contribuées à mettre en place pour que le monde soit plus juste et plus gai. Je vais continuer à donner un coup de main à ceux à qui j’aimerais bien laisser la place dans l’espoir que vous soyez plus malins.


Partage :




Licence Creative Commons Article mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.



À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

Retrouvez tous les articles de Christophe Martin