Mode sombre

Ce texte est l’édito du numéro papier d’avril.

La Commune de Paris a 150 ans mais elle n’est pas gâteuse et faudrait voir à ne pas se la laisser récupérer. Au moins, le versaillais Macron aura-t-il eu la décence de fermer sa gueule sur ce coup-là et de laisser au baron Vingtras le soin de nous raconter ce grand bol d’air frais que furent ces quelques semaines d’une démocratie inédite, impulsive et vraiment sociale. Tout l’opposé donc du triste spectacle que nous offre le système actuel où tout est réac’ et attendu sauf peut-être les conneries et les bourdes du gouvernement qui dépassent ce à quoi le Dolafi et le Gorafi nous ont habitués. 

1871. Les bourgeois conservateurs et affairistes vendent la France aux Prussiens qui signent l’unification du Reich au Château de Versailles. Faut y avoir du vice! La diversion patriotique de Napoléon III a lamentablement capoté mais son échec même prépare l’autre appel au patriotisme destructeur de 1914. Le gouvernement de défense nationale (mon cul!) capitule devant la puissance de l’Allemagne. Jacques Delors n’est pas encore en orbite mais on a déjà inventé le concept. Adolphe Thiers semble nourri à la même source de bon sens qu’Emmanuel Macron. On cède. Mieux, on sert la soupe à plus fort que soi en espérant récupérer les miettes et écraser les prolos qui s’agitent un peu trop. Voilà pour le cours d’Histoire à la hache. 

Ce qu’il y a de beau dans la Commune, c’est que la récup’ bien pensante a beau essayé d’en tirer des figures individuelles comme Louise Michel, Élisée Reclus ou Jules Vallès, c’est le collectif qui l’emporte et reste dans nos mémoires. Le mouvement communard est un soulèvement populaire, un élan holistique vers un but commun : la république sociale, la vraie démocratie. C’est là, l’essentiel. Y a nettement moins de grandes figures à se dégager qu’en 1789 où les déclarations sublimes succèdent aux beaux discours. Comme à Valmy, la première grande victoire de la nation française, l’héroïsme de la Commune est la plupart du temps anonyme. Les misérables que la troupe fusillera contre les murs de Paris ou qu’on exilera en Nouvelle Calédonie n’auront guère plus de nom. Ce n’est pas là l’essentiel. L’important n’est pas de laisser son nom dans les livres d’Histoire. Ça, c’est bon pour les égos bouffis des gens de pouvoir et la presse à sensations.

Ce qui compte, c’est de faire avancer la cause. La nôtre à Libres Commères, c’est le changement de régime. A 150 ans de distance, on a finalement le même but que les Communards, l’urgence écolo en plus. L’ennemi est le même : il est juste devenu encore plus vorace, encore plus aveugle. Réinstaurer notre souveraineté à tous les niveaux n’a jamais été aussi essentiel. Ce n’est pas qu’une question d’ouvrir les librairies, les théâtres ou les sex-shops. C’est une question de survie. Le capitalisme nous bouffe la vie comme il détruisait les corps des ouvriers et des paysans du XIXème siècle. Sous le Second Empire, c’était si criant que le cri du peuple a jailli de Paris, puis un peu partout dans les villes de France. 

En 2021, c’est moins évident. C’est parce que le frigo était vide que les Gilets jaunes sont allés se faire gazés et matraqués chaque week-end. Mais tant qu’il y a encore un peu de Nutella au fond du pot, la Commune, ça ne fait que trois pages dans Télérama et un docu poignant sur Arte. 

Mais ça ne suffit plus. D’abord, faut arrêter le Nutella. Et faudra peut-être même renoncer au chocolat. C’est une image, ami glouton, ne panique pas ! Si on veut retrouver suffisamment de souveraineté sur nos existences, choisir vraiment ce qu’on a envie de faire de nos vies et de nos mains, va bien falloir assez sérieusement rabioter sur le confort. Parce que c’est par le confort technique que la clique néolibérale achète notre silence. Quand j’entends François Rollin dire que finalement le confinement lui va bien et qu’il vaudrait mieux s’en accommoder au lieu de râler, je constate les ravages du système et de sa propagande. On crèvera au chaud sous la couette à ce rythme-là.

Les Communards crevaient la dalle et couchaient à la dure. Beaucoup ont payé très cher les quelques jours d’espoir qu’ils ont arraché au destin. Mais ils ont échappé à ce qu’il y a de pire : l’aliénation comme dirait Marx, cette geôle à ciel ouvert et sans mur où le prisonnier est son propre tôlier sous l’oeil goguenard des faiseurs de fric.

Frédéric Lordon affirme que le véritable communisme n’a jamais été tenté. Ce n’est pas tout à fait vrai. La Commune était un beau début. Tout comme les Gilets jaunes. Un début suffisamment flamboyant pour donner envie d’en être quand ça va péter. Ne reste plus qu’à mettre en mouvement la multitude sans laquelle rien ne se fait. C’est pas gagné mais on n’a plus le choix. Et puis, on se marre tout de même plus sur les barricades et les ronds-points que dans les boutiques non-essentielles de Môssieur Thiers et les soirées du petit poudré.

Bonne lecture et à la revoyure!


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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