LETTRE À UN SPATIONAUTE FRANÇAIS

Mode sombre

Cher Thomas, 

Ne m'en veux pas si cette lettre arrive bien tard, d'une part la poste est progressivement démantelée donc il y a moins de facteurs, et d'autre part il n'y a pas de boites aux lettres sur l'ISS. Je t'écris pour te partager une réflexion, espérant que tu me répondes en y apportant la tienne. Ou alors espérant que quelqu'un se l'approprie et en fasse des confettis. Au fond on s'en fout royalement, comme dirait Stéphane Bern. 

Je suis ravi que tu fasses mouiller toutes les vioques de Neuilly et du 16ème, que les journalistes de BFM aient enfin trouvé un héros pour leur storytelling quotidien, tout comme je suis ravi que tu incarnes aux yeux des patriotes imbéciles une résurgence de la grandeur de la France, toi qui corresponds parfaitement à leurs critères. 

Je suis ravi que tu fasses le buzz sur les réseaux sociaux, avec des interventions passionnantes pour quiconque s'intéresse à ton voyage spatial, pour quiconque cherche un consensus auprès de ses amis (tu es moins clivant que les gilets jaunes il faut bien l'avouer). Je suis ravi que l'on retweete, reposte, repoucebleu tes petits messages plein de blagounettes convenues, il est important que l'humanité sache ce que devient ton pipi dans l'espace, parce que c'est vrai après tout : tu es si bien rasé que ce serait vraiment dommage d'apprendre que tu es en réalité un gros dégueulasse. 

Je suis ravi que les jeunes start-uppers trouvent en toi le parfait bonhomme-qui-en-veut-et-qui-est-mieux-que-vous-bande-de-gaulois-réfractaires-qui-coûtent-un-pognon-de-dingue. 

Tu es probablement un héros, après tout qui suis-je pour te juger ? Ma déconsidération personnelle pour ton entreprise et ce que tu représentes ne peut pas entrer en ligne de compte. Et puis, on m'accuserait de jalousie, de mauvaise foi vis-à-vis de la réussite, ou je ne sais quoi d'autre. Alors que moi je peux fumer, boire, bouffer gras, aimer, baiser, sans me poser de question. Et toi, tu dois tout contrôler j'imagine. J'imagine ta prochaine story Instagram, histoire qu'on en sache plus sur ton quotidien : 

On te verrait en slip dans ta salle de bain high tech, tu regarderais vers Xavier Bertrand (c'est à dire vers ta droite) et tu dirais : 

–  Chérie, j'ai perdu quelques grammes après l'amour, tu veux bien m'envoyer mes pilules revivifiantes de sperme en poudre s'il te plaît ?
–  Elles sont où ?
–  À côté de la lettre personnelle du président pour me souhaiter bon courage pour ma mission et combien le peuple français est fier de moi.
–  Ok!
Mais j'en viens enfin à ma réflexion, au vif du sujet, qui ne fait que se laisser attendre de manière insupportable, un peu comme l'ouverture des terrasses.
Tu es parti dans une fusée privée, conçue par une entreprise dirigée par un fou, qui ne voit l'avenir de l'humanité qu'au travers de ses rêves technologiques démesurés, qui ne pense les choses qu'à l'aune de sa dépression latente, et qui ne réagit que si l'on pique son orgueil en faisant monter ou descendre le prix des actions à Wall Street (triste vie).
Ressens-tu, au fond de toi, une petite pointe de honte ? Je veux dire par là que tu nous sers la soupe écolo dès qu'on en vient à questionner le bienfondé des voyages spatiaux, tu nous dis que la science en apprend beaucoup. Pourtant, tu sais bien qu'Elon Musk a pour projet de coloniser Mars et de laisser notre planète invivable aux quelques pauvres qui seront restés. C'est probablement à ce moment-là qu'il saura que la dignité est la capacité que les pauvres ont à se tenir plus droit que les riches. 

Mais toi, dans tout ça, ne vois-tu pas une incohérence entre ton discours et la marque de ta fusée ? Si tout est parfait pour toi, peux-tu me dire où se trouve la cohérence ? Parce que ce n'est pas flagrant pour nous, pauvres-hères-qui-doutons-de-tout-et-avec-lesquels-on-doit-faire-preuve-de- pédagogie-pour-expliquer-tout-et-notamment-pourquoi-ils-vont-devoir-abandonner-leurs-acquis-sociaux-pour-que-les-riches-soient-plus-riches-parce-que-ça-coûte-cher-une-fusée. 

Je suis très certainement has been, moi qui ai presque 5 ans de moins que toi, mais il me semble que la technologie est devenue folle - en tout cas elle nous rend fou – et que les expéditions spatiales sont ultra-technologiques et coûtent un pognon de gens sensés. Alors tu m'excuseras si je ne participe pas à la fête quand vous vous retrouverez à l'Elysée avec ton sosie président, mais ce jour- là j'aurais probablement des étoiles à regarder en rêvant. 

Benjamin Alison 

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