Mode sombre

Publié dans le numéro papier d'été, cet article fête à sa manière le limogeage de Jean-Michel Blanquer à qui on souhaite le pire.

La réforme du lycée aura connu de nombreux remous. Lancée en grandes pompes en septembre 2019, elle n’a toujours pas atteint la forme qui lui était pensée à l’origine. Elle a subi de nombreux recalibrages en raison du contexte sanitaire, mais pas seulement ; le principe de réalité a mis à mal un protocole mal pensé, parfois absurde, lourd à mettre en place, entraînant de multiples rétropédalages. Pour preuve, les fameuses « E3C », des épreuves régulières censées baliser l’année de Première dans toutes les disciplines du tronc commun : abandonnées au bout d’un an.

Dernier exemple en date : le supposé retour des mathématiques dans le tronc commun dès la classe de Première, qui devient finalement – ultime rebondissement – une option. Les chefs d’établissements sont ravis, puisque l’annonce tombe après les derniers conseils de classe, et que les élèves de Seconde, pour beaucoup, ne sont déjà plus là. Un exemple parmi tant d’autres d’une réforme pensée à la hâte, sans consultations du corps enseignant, qui aboutit à des situations absurdes ou terriblement contraignantes. 

En matière de grosse artillerie inconséquente, le Grand Oral n’est pas en reste. Le nom fait très impressionnant, la réforme semble rouler des mécaniques devant nous, mais pas de panique, c’est juste de la gonflette.

En quoi cette épreuve consiste-t-elle ? Au cours du dernier trimestre, l’élève prépare deux problématiques portant sur ses deux spécialités de Terminale. Prenons Enzo, par exemple (prénom à la mode qui a succédé au Kévin des années 90) : il suit les spés Lettres-Philo et Espagnol. Enzo est interrogé sur une de ses deux problématiques, à laquelle il doit répondre en… cinq minutes chrono. Il s’ensuit dix minutes d’entretien avec le jury, puis cinq minutes portant sur le projet professionnel. Ainsi que l’affirme l’autre kéké en costard sur Youtube, « la question elle est vite répondue ».

Il est bon de préciser que les cinq minutes d’exposé de l’élève ne peuvent nullement s’accompagner d’un diaporama, d’un document écrit ou d’une démonstration au tableau. Aucun support n’est autorisé. On a du mal à imaginer comment un exposé de cinq minutes sans aucun support puisse être intellectuellement consistant. Si l’élève a choisi les spécialités Mathématiques ou Physique-Chimie, l’exercice confine franchement à l’absurde. Les mathématiques, entre autres disciplines, nécessitent des schémas et des calculs.

Mais ce n’est pas tout. Les deux membres du jury ne connaissent pas les problématiques travaillées par l’élève avant que celui-ci ne rentre dans la salle. Ils ne sont absolument pas préparés, et il y a fort à parier, dans cette configuration, qu’ils auront de la peine à trouver des questions pertinentes après un exposé déblatéré en mode supersonique (cinq minutes !).

Et ce n’est pas fini. Un seul des deux membres du jury sera compétent sur la spécialité retenue. Reprenons l’exemple d’Enzo qui fait Lettres-Philo et Espagnol. Le jury sera constitué, par exemple, d’un prof de SVT et d’une prof d’espagnol. Seul choix possible pour le jury, donc, la problématique autour de l’Espagnol. Le malheureux prof de SVT va donc se farcir cinq minutes d’une langue dont il ne parle peut-être pas un traître mot. Mais il devra quand même attribuer une note à l’élève. Absurde, n’est-ce pas ? Pourtant, c’est tout à fait ce qui peut se produire.

Je parlais plus tôt de rétropédalage. Quand on retrouve dans les manuels scolaires de 2019 la mouture initiale du Grand Oral, on se prend à rire. Il y est spécifié que l’un des deux membres du jury sera une personne extérieure au monde de l’éducation, « par exemple un grand chef d’entreprise ». Les réformateurs zélés de LaREM s’étaient certainement enflammés, trahissant trop fort le rêve d’une start-up education.

Quand on examine le barème, on se rend compte que tout repose sur la forme, et rien sur le fond. Pas étonnant dès lors que l’épreuve s’inspire, dans le nom et dans l’esprit, du Grand Oral de Sciences Po ou de feue l’ENA.

Pour finir, on se souviendra que la réforme portait avec elle l’ambition de la « reconquête du mois de juin » : l’idée du contrôle continu et des épreuves de spécialités évaluées en mars (lesquelles, par un énième rétropédalage, furent repoussées cette année en mai, et l’an passé à jamais) était d’alléger le mois de juin, permettant ainsi aux élèves d’avoir cours jusque début juillet. Résultat : cette année, les lycéens finissent les cours le 10 juin, comme les années précédentes. Le Grand Oral mobilise un tel nombre d’élèves, de professeurs et de salles parce qu’il s’échelonne sur quinze jours et occupe finalement une grande part du mois de juin. 

Gageons qu’un futur gouvernement saura mettre fin à toute la complexité absurde de cette réforme qui n’aura été bâtie que dans une logique économique, jamais assumée comme telle.

Edgar o’Gorill.


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