Mode sombre

La confusion voulue par certain-e-s entre droite et gauche ne peut servir que les plus médiocres et les plus autoritaires. Il est crucial de nous doter d’un guide d’analyse et de compréhension du fonctionnement des partis et des institutions politiques pour lutter contre la corruption, déjouer les propagandes mensongères ou dénoncer les manipulations… En démocratie, la droite et la gauche doivent coexister clairement alors qu’elles se confondent en dictature.

La confusion, en partie orchestrée par le gouvernement d’Elisabeth Borne, fait perdre toute mesure de latéralité en politique. Le phénomène n’est pas nouveau, Edouard Philippe et Jean Castex auparavant avaient eu beau jeu de s’appuyer sur les tergiversations et les ambiguïtés de François Hollande avant eux. Comment distinguer sa droite de sa gauche quand l’actuel gouvernement “ni de gauche ni de droite“ donne des gages à un parti naguère classé à l’extrême droite ; quand un dirigeant du Parti Communiste rend fréquentable un ancien chef de gouvernement ouvertement social-libéral ; quand une faction du Parti Socialiste rejette à l’extrême gauche le principal parti de ce qui était encore “la gauche“ il y a un an …? 

Depuis quelques mois, un nouveau terme ajoute d’ailleurs à cette confusion tout en prétendant éclaircir la situation, le préfixe “ultra“ censé désigner ce qui est au-delà de l’extrême… La France Insoumise n’était pas suffisamment stigmatisée par sa classification à l’extrême gauche, le bloc des gardiens de l’ordre libéral et financier a inventé “l’ultra gauche“. Ces mêmes porte-drapeau du progrès à marche forcée craignaient que leur grandissante fascination pour des idées issues du fascisme n’entachent leur crédibilité auprès de ceux qui croient encore que libéralisme et démocratie sont cousins, ils ont donc rangé les néo-nazis à “l’ultra droite“, rendant du coup le Rassemblement National beaucoup plus fréquentable.

Il serait pourtant simple de considérer que la gauche c’est le partage et la droite l’exact contraire. Trop simple bien sûr puisque cet aphorisme ne tient pas compte de toutes les nuances qui font la richesse de la politique et de la vie sociale. Trop simple aussi parce qu’au-delà des déclarations et des idées, il y a des méthodes, des manières de faire qui éclairent sous un autre angle les organisations qui portent les courants politiques.

J’ai tenté de synthétiser en quatre axes ce qui me semble être les principales tensions présentes à la fois dans l’ensemble du spectre politique et au sein de chaque parti. Tant dans les choix annoncés dans un programme que dans l’application de ce programme ou les procédures mises en place pour participer à une élection ou conduire une institution, ces axes devraient permettre de faire apparaitre une cohérence ou au contraire des contradictions plus ou moins fortes. La principale de ces contradictions résiderait bien sûr dans l’écart entre les objectifs annoncés et la façon d’exercer le pouvoir permettant de les atteindre.

Il ne s’agit pas ici de présenter une grille de lecture immuable, mais bien d’inciter à la construction d’une analyse factuelle du fonctionnement politique.  

Entre solidarité et compétition

En matière d’éducation, veut-on former des élites ou des individus capables d’œuvrer ensemble ? La question est aussi au centre de l’organisation des structures sportives ou des réseaux culturels. En économie, la dynamique doit-elle venir de la concurrence que se livrent les entreprises ou au contraire de la coopération entre elles au sein par exemple d’une planification globale ? L’organisation du travail est bien sûr également concernée, comment se situer entre marché concurrentiel de l’emploi et partage des besoins de production entre les personnes actives ? 

Comment chaque parti organise sa représentation ? Les candidats aux élections ou aux responsabilités internes doivent-ils dans une course et selon quelques règles ? Ou favorise-t-on la construction en commun de projets à faire valider par les militants ?

Entre totalitarisme et participation

Cet axe concerne surtout la façon dont les décisions sont prises et comment leur application est évaluée. Entre deux extrêmes, toutes les décisions sont prises par une personne ou un groupe restreint de personnes ou au contraire elles doivent faire l’objet d’une délibération collective avant leur application, il y a énormément de paliers intermédiaires. Selon la nature et le champ de la décision à prendre, les processus peuvent être très différents au sein d’une même organisation. La décision concerne-t-elle tout le monde ou seulement un groupe ? S’appliquera-t-elle sur un grand ou un petit territoire ? Les enjeux auxquels il faut répondre sont-ils cruciaux ? Urgents ? Nécessitent-ils un niveau de confidentialité nécessaire à la protection de personnes ou d’un projet ?

C’est sans doute l’axe les plus difficile à évaluer dans la mesure où le champ politique dans sa complexité nécessite des approches très diverses selon les cas. Mais il est sans aucun doute possible de faire apparaitre une tendance entre totalitarisme et participation

Entre centralisation et autonomie

Cet axe est lié au précédent mais seulement dans une certaine mesure. Une organisation très totalitaire peut être décentralisée si par exemple un groupe de dix personnes décident seules pour les autres tout en étant chacune à la tête d’une entité entièrement autonome au sein de cette organisation. A l’inverse, on peut avoir des institutions très autonomes par rapport à un pouvoir central mais dont le fonctionnement interne reste entre les mains de très peu de personnes. Le rapprochement de cet axe et du précédent permet de mettre en évidence la réalité du niveau de partage des pouvoirs. Un pouvoir centralisé peut donner beaucoup d’autonomie de décision à des institutions décentralisées par leur compétence, leur territorialité et la nature de leurs dirigeants tout en les privant des moyens législatifs et financiers de faire appliquer leurs décisions. Les manipulations de ce type sont inhérentes au pouvoir, il est donc nécessaire de comprendre comment elles s’exercent le cas échéant.

Entre empirisme et idéologie

Cet axe touche aux choix politiques, et donc à l’écart entre un contexte socio-économique et un sens de l’action à travers des objectifs qui doivent s’appliquer dans ce contexte. Dans un article paru en 1922 (1), Karl Polanyi distingue trois étapes successives pour établir une politique économique :

  • En premier lieu, il faut examiner les faits de la manière la plus neutre idéologiquement,
  • Ensuite, il faut analyser cette situation dans sa continuité historique, dans la composante des acteurs qui y évoluent, dans la perspective d’évolutions probables, etc.
  • Et seulement enfin, appliquer les choix idéologiques en toute connaissance de la situation.

Ces étapes sont indissociables, l’empirisme seul ne peut mener qu’à des décisions conjoncturelles sans projection dans l’avenir et fortement démagogiques ; les choix idéologiques qui ne s’appuieraient sur aucune analyse mèneraient à une action totalement déconnectée du réel. Cette démarche s’applique évidemment à tous les champs du politique.

Il est cependant possible que certains acteurs veuillent inverser ce processus, imposant leurs choix idéologiques dans le but de faire plier la réalité en la réduisant à leurs concepts. C’est pourquoi, il est sans aucun doute le plus important de ces quatre axes.

Analyser de façon neutre le fonctionnement d’organisations largement basées sur une vision idéologique relève en grande partie de l’utopie. Faut-il pour autant renoncer à toute approche rationnelle ? Lutter contre la corruption, déjouer les propagandes mensongères, dénoncer les manipulations relèvent d’enjeux cruciaux. Y voir clair dans un brouillard volontairement répandu par les plus médiocres des dirigeants politiques est plus que jamais nécessaire. Engageons ce travail afin qu’on ne puisse plus dire que la droite et la gauche sont pareilles, car si en démocratie elle doivent coexister, c’est en dictature qu’elles se confondent.

Jean-Luc Becquaert.

 

1) « La comptabilité socialiste », la traduction française se trouve au chapitre 15 des « Essais de Karl Polanyi » éditions du Seuil 2002


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