Mode sombre

Édito du numéro papier de l'été.

Libres Commères reste un petit pavé dans le marigot dolois. On s’y fout de la gueule de pas mal de gens qui le méritent et n’aiment pas forcément qu’on le fasse. Mais nous n’avons qu’un rayon d’action d’1,50 mètre comme dirait l’oncle bricoleur de Boris Vian. Soyons honnêtes: la satire, ici, ça fait plus de bien à ceux qui l’écrivent que de mal à ceux qui en font les frais. Nos analyses ne touchent pas le dixième des lecteurs de « Dole, notre ville » dont la dernière une témoigne une fois de plus de l’obsession narcissique du bourgmestre local. Mais on a le mérite d’être là et on ne lâchera pas l’affaire. Preuve en est, ce petit supplément couleurs (prévoyez quand même vos Caran d’Ache!) dans ce numéro spécial été.

Pourtant, quoi qu’on fasse, les lois, les décrets et les arrêtés qui passent sans notre assentiment nous contraignent en profondeur. Deux ans de plus à taffer sans choisir, c’est d’une violence inouïe, une baffe comme on en reçoit peu mais que la Macronie s’apprête à nous distribuer à tour de bras dès la rentrée : à ce rythme-là, nos services publics mettront des décennies à s’en remettre si on parvient toutefois à traiter les nuisibles avant 2027. A Dole, ça a l’air moins grave: on va nous gaver du week-end gastro à la rentrée, d’Halloween à la Toussaint et des décos de Noël en contreplaqué ouaté pour les fêtes. On nous amuse les yeux et les oreilles pendant que ça commence tout de même à méchamment puer la schlague numérique, le bourgeois décomplexé et l’édile revanchard.

Pouvoir dire ce qu’on veut, c’est mieux que d’être contraint de la boucler certes mais c’est dans la souveraineté du pouvoir d’agir que réside la réelle démocratie. Or s’il nous laisse encore un peu de liberté de parole quand on dénonce à mots couverts pendant le week-end ou à l’apéro, le pouvoir économique a les moyens de réduire la portée de notre expression et surtout, il dispose de toute la logistique pour nous contraindre à le servir docilement tous les jours de la semaine. Moi-même, je ne vais pas aller clamer que je suis totalement libre de mes propos, alors que je sais très bien que mes employeurs (dont je tais les noms parce que je suis une baltringue) et mes « clients » n’apprécieraient guère une critique trop pointue à leur encontre. Si nul n’est prophète en son pays, c’est d’abord parce qu’il doit manger, et pas que: si je lance un boycott contre la grande distribution, je vais l’acheter où, mon PQ, hein?

Cependant, parce que les plus belles paroles du monde ne portent pas face à un fort vent contraire, c’est dans le geste qu’on aura plus de visibilité et donc d’efficacité à long terme. Là, je laisse flotter un certain flou artistique pour ne pas risquer la garde à vue préventive. Déjà que je sors à peine du comico-politique… Nouvelle ambiguïté pour affoler l’algorithme. 

Je dis pourtant qu’il faut continuer à tendre « clandestinement » et par conséquent anonymement vers la démocratie (c’est à dire la vraie souveraineté populaire) afin de sortir de cette impuissance dans la praxis (chez les marxiens, c’est l’ensemble des activités visant à transformer le monde). J’hésite à employer le mot « action » tant le capitalisme l’a circonvenu. Y a pourtant pas plus fainéant que l’actionnaire mais guère plus puissant. Celui-ci est efficace même s’il est peu visible. Sa force est discrète mais effective. Prenons-en de la graine. 

Réseautons donc, complotons, agissons dans le no man’s land qui sépare la législation bourgeoise de l’illégalité la plus complète pour ne pas être convoqué toutes les semaines Rue du 21 janvier, agitons les esprits (c’est plus efficace que d’agiter des drapeaux), travaillons le capitalisme au corps (je ne consomme pas sa came, je répare, j’use jusqu’au bout, donc je l’emmerde), cherchons des moyens pour ne pas prendre tous les coups (plus on est nombreux, moins la matraque sait où viser).

Nous avons pratiqué la révolte pendant plusieurs mois et elle a montré ses limites. Le pouvoir a lâché ses inquisiteurs à nos basques, ses magistrats carriéristes et ses roquets hargneux pendant que les syndicats mesquins comptent leurs points retraite et que ceux qui attendent que ça se passe ont renouvelé leur carte de fidélité à l’ordre en place. Il fallait s’y attendre. Les vacances sont là. On y a un peu droit aussi. On va se mettre en jachère. Et Germinator sera de retour en septembre.

NB: si la prochaine version papier n'est prévue que pour le 7 septembre, gardez un oeil attentif sur le site. Là, on ne va pas chômer.


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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