Mode sombre

On pourrait faire une compilation des jérémiades constantes et permanentes des droites sur le thème de la crise de l’autorité, mais épargnons-nous pour le moment cette fastidieuse corvée1 et examinons ce sujet.

Postulons et formulons les choses ainsi : la gauche c’est l’égalité, la droite c’est la hiérarchie2.

Conséquemment, à gauche, on se méfie – à raison ! – de l’autorité, toujours susceptible d’abuser de son pouvoir et de ses privilèges, et on n’accepte cette forme d’inégalité qu’à partir du moment où sa légitimité semble prouvée : par sa compétence, par sa sagesse, par son discernement, par ses actes, par son expérience, par les apparentes nécessités de la situation, etc.

Alors qu’à droite, les choses sont totalement inversées : n’est considéré comme légitime que ce qui est censé avoir de l’autorité : le chef, l’État, le patron, la police, l’actionnaire, etc. Problème : dès lors, d’où vient la légitimité de l’autorité ? Peu importe : elle est légitime parce que c’est comme ça et pis c’est tout ! (Tu veux un coup de tonfa ou quoi ?!)

La hiérarchie est à la base des sociodicées3 de toutes les droites : hiérarchies des individus, des classes sociales, des religions, des pays, des « races », des civilisations, etc. Étymologiquement, la hiérarchie renvoie à un ordre sacré des choses4. Et le sacré, le divin, le (sur)naturel, ça ne s’explique pas, ça ne se discute pas, c’est mystérieux, ça nous dépasse tous, et on n’a d’autre choix que de l’accepter et de s’y soumettre en se tenant bien sage5.

Pourquoi le roi était-il roi ? Parce que le droit divin ! Pourquoi le chef a-t-il toujours raison ? Parce que c’est le chef, pardi ! Pourquoi les hautes sphères du pouvoir sont surtout blanches et masculines ? Parce que la nature, l’évolution, les gènes, les hormones, la sociobiologie et le spencerisme6 ! Pourquoi les riches ont-ils tant de privilèges obscènes quand tant d’autres crèvent dans la misère ? Parce qu’il y a ceux qui ont réussi et ceux qui ne sont rien, c’est ainsi, c’est la vie ! Pourquoi la religion chrétienne, musulmane, juive, hindouiste, etc. est-elle supérieure aux autres ? Parce que c’est une décision de(s) dieu(x) ! (D’autres questions ?)

Évidemment, c’est tellement léger comme justification que les dominants ont toujours le souci de rajouter autant de couches de vernis que possible pour tenter de maquiller une pure escroquerie intellectuelle en fait naturel, logique et incontestable, et contrer ainsi les remises en cause permanentes de la gauche égalitaire (pléonasme, donc).7

En fait, les dominants doivent nécessairement produire en permanence des discours pour légitimer leur domination. Parler pour expliquer pourquoi ils sont destinés à dominer, et les autres à se soumettre. On notera avec intérêt qu’en latin, le destin se dit fatum8, dérivé du grec φάτις (phatis), la parole, la rumeur qui donnera notamment le prophète : l’élu des dieux qui « pré-dit » l’avenir et révèle la vérité divine inaccessibles aux simples mortels. Où l’on voit que le pouvoir des dominants réside essentiellement dans leurs récits.

Et lorsque les récits ne fonctionnent plus (parce que le grand nombre finit par se rendre compte de l’insupportable supercherie), alors les dominants en reviennent aux fondamentaux du pouvoir : la violence physique.

Le prêtre et le guerrier chez nos ancêtres. Le Devin-Plombier et le Chef Shadok chez Rouxel. Le commentateur médiatique et le flic chez nous. Celui qui manipule les esprits par les mots et celui qui maltraite les corps par la brutalité physique. Voilà l’éternel duo qui permet la domination de quelques-uns sur le grand nombre.

Mais revenons à ceux qui geignent à propos de la crise de l’autorité et indiquons-leur quelques pistes de réflexion à ce sujet (peut-être s’en trouve-t-il de bonne foi et de bonne volonté parmi eux, sait-on jamais).

Le dirigeant politique est légitime et respecté lorsqu’il fait preuve d’intelligence, de sagesse, et de détermination pour orienter la société dans le sens du bien commun ; il est vomi et conchié quand il se révèle imbécile et corrompu au grand dam de la population.

La police est légitime et respectée lorsqu’elle protège et s’interpose dans les conflits violents, lorsqu’elle joue son rôle de pacification et de justice (les gardiens de la paix) ; elle est odieuse et honnie quand elle réprime la contestation sociale pour maintenir un ordre scandaleusement inégalitaire (les forces de l’ordre) ou quand elle se livre à tous les abus de pouvoir.

Le journaliste est légitime et respecté lorsqu’il cherche et révèle la vérité au grand jour pour en faire le carburant du débat démocratique, d’autant plus si c’est au péril de son intégrité physique et de sa liberté9 ; il est méprisé et insulté quand il se fait le laquais propagandiste du pouvoir.

Le scientifique est légitime et respecté lorsqu’il étudie, analyse et explique le monde pour le rendre plus intelligible et éclairer nos choix collectifs par la raison ; il se ridiculise et se discrédite quand il truque et biaise ses recherches et se vend aux puissances financières ou politiques pour s’assurer un joli déroulement de carrière.

Le syndicaliste est légitime et respecté lorsqu’il se bat pour défendre véritablement les intérêts de l’ensemble des travailleurs ; il se rabaisse et se rend exécrable quand il se mue en pur défenseur des intérêts corporatistes, en pantin sur la scène du théâtre politico-médiatico-social, ou pire, en militant fascisant et factieux.

Et pour conclure, rappelons le sage aphorisme de Jacques-Bénigne Bossuet : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ».

 

1 Ceux qui veulent des exemples concrets seront servis en écoutant les déplorations médiatiques actuelles au sujet des révoltes consécutives au meurtre par un policier du jeune Nahel à Nanterre le 27 juin 2023.

2 Et certainement pas la liberté comme les droitardés aiment à se le raconter à eux-mêmes et aux enfants devant les caméras de télévision.

3 Discours expliquant et justifiant pourquoi la société est telle qu’elle est et pas autrement et que c’est très bien ainsi.

4 Du grec : ἱερός (hiéros), surnaturel, divin, sacré, et ἀρχή (arkhê), le commandement, le pouvoir, mais aussi l’origine, le commencement.

5 … et de préférence à genoux avec les mains sur la tête pour faire plaisir aux poulagas ivres de leur toute-puissance phantasmée, comme les gamins de Mantes-la-Jolie le 6 décembre 2018.

6 Abusivement appelé « darwinisme social », le spencerisme est une généralisation dévoyée des thèses de Charles Darwin sur l’évolution des espèces appliquées aux sociétés humaines pour justifier les inégalités.

7 Noam Chomsky définit d’ailleurs l’anarchisme (qu’on pourrait poser comme strict opposé au « hiérarchisme ») comme la tendance naturelle de la pensée humaine à soupçonner et douter systématiquement de la légitimité de ceux qui ont le pouvoir.

8 « fatum » peut également être utilisé tel quel en français d’ailleurs.

9 N’oublions pas Julian Assange et tant d’autres.


Partage :




Licence Creative Commons Article mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.



À propos de l'auteur(e) :

Un radis noir

Être radical, ce n’est pas être extrémiste ni fanatique : c’est s’intéresser à la racine des choses… À la racine des mots, pour pouvoir aiguiser les idées et les concepts… À la racine des maux, pour pouvoir espérer y remédier.


Amateur de Petits Roberts

Retrouvez tous les articles de Un radis noir