Mode sombre

Dans « Sortir de notre impuissance politique », Geoffroy de Lagasnerie dresse un constat sans concession de nos actions militantes et permet d'en dessiner une échelle d'efficacité. En bas, on trouve la riposte rituelle, festive et spectaculaire. En haut, l'action directe, radicale qui met l’État bourgeois sur la défensive et l'oblige à réagir . En bas, les Rosies qui dansent devant les objectifs de la presse, le partage d'une citation de Pierre Rabhi sur FaceBook ou le graffiti anarchiste dans le train. En haut, le putsch armé, l'exécution systématique de tous les milliardaires ou le rapatriement immédiat vers la Sécu de toutes les cotisations complémentaires que pompe actuellement le secteur privé.

Si l'action reçoit un accueil favorable de la part du grand public et un large écho bienveillant dans les médias institutionnels, elle est très probablement inefficace, voire contre-productive, sur un plan politique. Si elle ne provoque aucune réaction morale ou policière de la part de l'institution visée, il y a fort à parier que son impact est nul quand bien même sa diffusion médiatique serait importante. La traditionnelle manifestation déclarée et encadrée, aussi massive soit-elle, n'est qu'un moment de rassemblement protestataire et folklorique dont le gouvernement actuel se contrefout. 

En revanche, le terrorisme aveugle, le black bloc ou le pillage provoquent l'indignation et on peut en mesurer ainsi l'efficacité  : terreur générale, nervosité chez les CRS et panique pour la propriété privée, l'objectif des actions est atteint et se mesure à la fébrilité des victimes, même si on n'en partage pas la finalité stratégique si tant est qu'il y en ait une. Y a pas à tortiller du cul : l'émeute dérange le capital, surtout si elle a lieu dans ses « cartiers » à lui.

Geoffroy de Lagasnerie met néanmoins en garde contre une des conséquences de la répression : la lutte énergivore pour l'auto-subsistance de la contestation par les mobilisations de soutien. Lagasnerie interprète cette pratique comme un détournement du mouvement contestataire en faveur de sa propre préservation. On peut donc légitimement s'interroger sur l'efficacité des actions qui ont pourtant engendré cette réaction judiciaire et policière du pouvoir mais aussi une im-mobilisation des camarades. 

Rappelons que l'efficacité se mesure par un résultat en faveur d'un objectif en fonction des moyens mis en œuvre et des conséquences négatives. Ça donne une équation du genre : 

(objectif recherché / moyens mis en œuvre) – effets indésirables = taux d'efficience 

Un post vachard sur le net vaut-il le temps de sa rédaction, les trois lecteurs ulcérés et les deux pouces bleus ? Une manif' réussie vaut-elle le billet de train jusqu'à Paris et une GAV ? Un acte de rébellion chevaleresque contre un CRS violent vaut-il le traumatisme d'une arrestation et une amende bien salée, voire la peine d'entaulement ? 

Bref, Lagasnerie nous invite à remettre en question nos tactiques en évaluant leur impact réel et leur coût humain objectif, et surtout en nous débarrassant d'un imaginaire révolutionnaire suranné, auto-satisfait et faussement héroïque qui en fin de compte nous condamne à l'impuissance politique. 

Article 322-1 : La destruction, la dégradation ou la détérioration d'un bien appartenant à autrui est punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende, sauf s'il n'en est résulté qu'un dommage léger. Le fait de tracer des inscriptions, des signes ou des dessins, sans autorisation préalable, sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain est puni de 3 750 euros d'amende et d'une peine de travail d'intérêt général lorsqu'il n'en est résulté qu'un dommage léger. 

Même si le flag est rare et qu'il suffit d'un déguisement de zèbre pour se jouer des caméras de surveillance, ça fait tout de même réfléchir avant d'aller bomber le mur d'en face, d'autant que, pas plus qu'un livre et malgré l'importance de la propagande, un slogan même excellent n'a jamais changé la face du monde. Ce n'est qu'un début, continuons le combat et on attend toujours la suite.

Cette échelle d'efficacité de l'acte dissident met donc en balance les moyens nécessaires et son impact escompté. J'y ajoute les dimensions chorale (l'intérêt de faire ensemble) et hédoniste (le plaisir de l'action et aussi celui plus mesquin de faire chier le fâcheux). Certaines options n'ont parfois pas servi à grand chose mais on s'est bien marré à les accomplir : Lagasnerie dénonce à ce propos le dolorisme militant qui voudrait que la souffrance valorise l'action. A ce compte-là, l'immolation par le feu et la grève de la faim seraient le top des actes politiques. En revanche, les casserolades qui ont sans conteste procuré une jouissance carnavalesque aux percussionnistes et servi de défouloir comme un saccage ou un détournement, n'ont pas durablement ni profondément touché le pouvoir. Mais pour un investissement minime, elles ont tout de même fait mouche à l'instant T.  

Enfin, il ne faut pas sous-estimer le risque pénal encouru  : l'action efficace entraînera tôt ou tard, mais inéluctablement, une riposte des autorités bafouées. Il faut donc tout faire pour l'éviter mais néanmoins s'y préparer. La répression et l'anonymat font partie de l'opération réussie. A Libres Commères, on connaît la musique : le pseudo y fait rage même si un article dans nos colonnes ne grimpe pas très haut dans l'échelle de Lagasnerie. A moins que... A vos claviers ! 


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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