Mode sombre

Le Musée des Beaux-Arts de Dole abrite un important fond d’affiches de mai 68. Deux historiens Vincent Chambarlhac de l’université de Bourgogne et Julien Hage de l’université Paris Nanterre en ont retracé les grands axes jeudi 6 mars lors d’une conférence plutôt confidentielle mais pas inintéressante. Ils sont les auteurs avec un troisième chercheur d’un ouvrage « Le trait 68 » qui fait le point sur la question. Je vous livre en vrac ce que j’en ai retenu et qui me semble digne d’intérêt:

en 68, les flics ont saisi des centaines d’affiches et les archives de la Préfecture de police de Paris sont donc en possession du fond sans doute le plus complet de tout ce qui s’est imprimé dans les ateliers populaires des Beaux-Arts et de l'École des Arts déco. Le préfet Papon faisait tout saisir. « En théorie, c’est ouvert… » mais…

en province, d’autres écoles des beaux-arts ont également participé à cette production avec un graphisme assez similaire, le fameux trait 68.

- la sérigraphie supplante la lithographie (plus longue) devant la nécessité d’aller vite. En 76, la photocopieuse et les fanzines punks la remplaceront.

- Chambarlhac et Hage ont appelé « la peau de Paris », ces affichages bruts, sauvages, concurrentiels et parfois gardés pour ne pas être recouverts par les brigades d’extrême droite, ou arrachés par les services municipaux ou la police. Le papier des affiches était très fin, genre papier journal: l’Humanité par exemple en a fourni une partie. Rien à voir avec les affiches électorales actuelles.

- les influences graphiques viennent aussi bien du guevarisme latino que du maoïsme, du dessinateur Siné que des artistes comme Rancillac, Cueco ou Fromanger.

- au départ, les affiches étaient anonymes, fruits de décisions collectives: on discutait des propositions en AG à midi, celles qui étaient retenues étaient fabriquées dans les ateliers populaires, imprimées dans la nuit et mises à sécher sur place.

- l’atelier des Beaux-Arts était totalement fermé aux vilains trotskistes des Arts décos, et réciproquement.

- les affiches devaient claquer comme des slogans.

- patrimonialisation est un mot interminable pour dire que ces affiches faites dans l’urgence ont fini dans les musées et qu’elles ont également fait l’objet de bataille en « maternité ». Bref, l’éphémère a été récupéré par l’institution et aussi par le marché, même si ces affiches ont un peu tendance à perdre de la valeur actuellement, du moins jusqu’au prochain anniversaire (2028).

 la BNF envoyait chaque jour un de ces conservateurs pour collecter un ou deux exemplaires de chaque affiche pour archivage.

- l’historien de l’anarchisme Jean Maitron troquait des affiches et des tacts avec la préfecture de police pour avoir une collection complète, ce qui lui a valu de se faire casser la machine à écrire à domicile par les situationnistes. Moralité: quand un mec récolte des tracts, vérifie qu’il n’est ni des RG ni de la médiathèque. Si c’est un collectionneur, fais-le casquer. 

Pour finir, au troisième étage du Musée des beaux-arts, y a tout un mur d’affiches originales (sous verre et pas collées) ainsi que quelques toiles politiquement engagées qui valent le détour. On en fait le tour en 10 minutes chrono, aussi je vous conseille d’attendre vendredi prochain pour visiter du même coup, l’expo sur la jeune figuration française qui finit de s’installer. Je vous en reparlerai si elle vaut le déplacement.


Partage :




Licence Creative Commons Article mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.



À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

Retrouvez tous les articles de Christophe Martin