Mode sombre

Dans le numéro de septembre des Commères, l’article du Baron Vingtras m’avait passablement troublé. La question, vieille comme un philosophe grec, qu’il pose ne cesse de nous tourmenter. Et puisque la mode étant au mépris de classe, j’ai émis l’hypothèse qu’il y a un fond de mépris autant que d’admiration dans cette contemplation mutuelle des tenants de la classe intellectuelle et les autres, disons-le ainsi pour simplifier. Ou devrais-je plutôt écrire les intellectuels supposés et les non intellectuels déduits en un jeu de miroir pervers.

Puis j’ai lu la réponse de Uhm et j’ai soudain pensé que la question est peut-être tout simplement celle de l’efficacité. Je m’explique.

L’efficacité est à tous les coins de rues, à tous les coins de lèvres des agitateurs médiatiques, à tous les coins de pages des périodiques politiques ou économiques. Mais au fait, c’est quoi l’efficacité ?

C’est tout simplement la conformité d’un résultat obtenu avec un objectif projeté. Ni plus, ni moins, la plupart du temps sans souci de l’intérêt de l’objectif ni de la rigueur de la mesure du résultat. Prenons quelques exemples, quand un gouvernement et des élus régionaux se réjouissent d’avoir terminé une autoroute avant la date prévue, ils le font au nom d’une très grande efficacité, mais ne laissent rien voir de l’inutilité de cette autoroute pour le maillage local ni des zones humides et des terres agricoles qu’il a fallu sacrifier ; quand un parti politique communique sur ses trois nouveaux sénateurs au nom de l’efficacité de sa campagne, pas un mot sur le fait que cela se fait au détriment des autres partis de la même famille ; et pour rester dans le ton du Baron et de Uhm, l’efficacité d’un langage non élitiste est-elle un gage de rigueur et de pertinence quant au message qu’on veut délivrer ? Certainement pas. 

Pour paraphraser René Char, la pensée est sans cesse menacée par l’efficacité.

L’efficacité est en effet une mesure anecdotique permettant seulement de se faire une idée le plus souvent approximative de la justesse d’un évènement ponctuel et offrant surtout la possibilité de masquer la vacuité et l’impuissance des élites dominantes.

Et même si servir à quelque chose est une préoccupation tout à fait légitime, agir gratuitement sans aucun souci d’utilité, comme jeter dans le courant une bouteille remplie de poésie, d’espoir ou de révolte, permet à tout le monde de s’exprimer sans (auto)censure et de contredire quand même une élite au pouvoir qui n’est pas si intellectuelle que ça…


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À propos de l'auteur(e) :

Jean-Luc Becquaert

Né dans une famille aimante et néanmoins de droite, j'étais destiné à une (brillante) carrière de DRH ou de responsable qualité dans la grande distribution. Ma rencontre à 18 ans avec l’éducation populaire dans une cave du XVIIIème (siècle) transformée en théâtre m’a définitivement détourné du libéralisme. Aujourd’hui, mon seul point commun avec Jacques Chirac, c’est le goût de la bière et de la tête de veau.


Anarchiste touche à tout et promeneur solidaire.

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