Mode sombre

Au moment où j’écris cet édito sous acides (NDLR: nous étions fin septembre puisque c'est l'édito du journal papier d'octobre), la bourgeoisie doloise (et tous ceux qui servent ses intérêts) écrase de son gros ventre tout ce qui ne respire pas par le bide. D’habitude, on parle plutôt de rouleau compresseur mais cette affaire de panse est de circonstance. Le marketing local a depuis longtemps réussi à incorporer Marcel Aymé et le Chat Perché à son raffut gastronomique. Il est loin le temps de la coquille Saint-Jacques à la ceinture. Les pèlerins faméliques ne sont plus en route pour la rémission de leurs péchés à Compostelle: ils déambulent à présent avec leur godet autour du cou et vont de barquette cartonnée en verrine de plastique.

Le tour de force 2023, c’est l’annexion de Bernard Clavel à la bamboche. Notre homme aurait eu cent ans cette année et pas sûr qu’il aurait été ravi d’être associé à l’overdose du week-end gourmand. 

Vous vous demandez peut-être ce que je peux bien avoir contre un évènement qui attire 60 000 bouches à Dole, un chiffre dont on se gargarise dans les communiqués de la Mairie toujours prête à cautionner la restauration. Je n’ai rien contre la gourmandise. Je ne suis pas le dernier à apprécier un bon flan pâtissier, même hors de prix chez B. rue de B., ou des ravioles aux cèpes nappées de sauce au gorgonzola chez l’Italien de la rue Boyvin. Mais j’en fais pas tout un plat, tout un week-end, tout un tintouin commercial, tout un barnum évènementiel.

Cela dit, je découvre Bernard Clavel. Comme j’ai redécouvert Marcel Aymé en m’installant à Dole. Comme j’étais censé couvrir la partie littéraire de ce charmant week-end marchand, j’ai dévoré à grosses bouchées « La Maison des Autres » et honnêtement, ça passe bien. Clavel appartient à la veine sociale de la littérature populaire qui me plait. Pas sûr que j’irai tellement plus loin que ce roman autobio mais je suis content que son auteur ait eu du succès avec. 

J’étais nettement moins motivé pour assister à l’inauguration d’une plaque au 11 rue de Besançon par les dignes héritiers de ceux-là même dont l’auteur dresse un portrait pas très reluisant dans le bouquin.

« La patronne et sa sœur étaient debout à côté d’un gros homme assis devant l’une des petites tables du salon. Elles bavardaient en multipliant les courbettes et les sourires. Le gros homme mangeait. Il devait avoir une trentaine d’années, mais son crâne était presque entièrement dénudé. Dans son visage rouge, ses yeux étaient deux fentes très minces que le mouvement des mâchoires fermait parfois complètement. Il prenait les gâteaux sur le plateau, les posait dans son assiette, les examinait un instant, puis mordait dedans à belles dents. Mme Petiot lui versa un verre de jus d’orange. Il but. Son triple menton remuait comme de la gelée. Il essuya ses lèvres avec une petite serviette rose, parut hésiter, puis, après un geste vague des deux mains et un mot adressé à Mlle Georgette, il prit un gros savarin au rhum garni de crème chantilly, qu’il se mit à manger à la cuillère. »

Pendant ce temps-là, dans les supermarchés, le prix des coquillettes explose. Le plein à la pompe dépasse les 100 boules. Pour l’électricité, c’est la châtaigne à chaque interrupteur! Mais dans la rue, tout est calme. On était à peine quelques dizaines Place Grévy pour la dernière manif au mot d’ordre pas très clair. En revanche, c’était la déferlante pour le week-end gourmand. Comment rivaliser avec ce gros ventre mou qui écrase tout sur son passage? Le néolibéralisme local nous prend pour des truffes: un coup de fanfare par ci, un bout de cassoulet par là ! Et que j’te rase sans états d’âme quelques tilleuls innocents et tout ce qui dépasse du képi! Et en avant la semaine du développement durable, la fin du programme « souriez! vous êtes fliqués! » et le service civique obligatoire (ça fait SCO, j’adore) ! Dole rayonne comme une étoile au Michelin mais le caddie de Gigi se fait chaque mois un peu plus léger. 

Partout en France, l’opposition de gauche est inaudible. Big Flo, Edouard Philippe et Oli sont à l’affiche de la Fête de l’Huma. Mélenchon et Chikirou se prennent le chou avec Roussel que viennent chambrer de mauvais camarades de cellule entre deux passages sur les médias droitards. Ruffin distribue du tranxène à la ronde, Montebourg, oh puis non! pas Montebourg… et même à Dole, y a du rififi dans les rangs de l’opposition soc-dem.  

Le seul geste protestataire un peu spectaculaire et rigolo de l’été, l’avion, sa banderole #Destitution et la tournée des plages, ainsi que les autocollants qui vont avec, tout ça, c’est une idée d’un mec d’extrême- droite. Putain! Pas d’bol!

Va quand même falloir s’y remettre, trouver des idées pour ne pas devenir transparents, affronter ce gros ventre oppressant… avec une aiguille peut-être… mais debout!


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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