Mode sombre

Le débat est partout sur la scène (du théâtre) politico-médiatique. Radio, plateaux télé, presse, web, Parlement, partis politiques… Le débat est censé être l’un des piliers de ce qu’il est convenu d’appeler – très abusivement – la « démocratie ». Ah, le fameux « débatdémocratique »… Vu comme on est inondé de « débats démocratiques », ondevrait nager allègrement en pleine démocratie. Pas vrai ?
Petit détour par les définitions. Après consultation du Wiktionnaire et de l’un de mes Petits Roberts adorés, voici ce qu’on peut en tirer : « débat », déverbal de « dé-battre », désigne au mieux une discussion entre plusieurs personnes qui exposent chacune leurs arguments, au pire une controverse, une altercation, une dispute. Les champs lexicaux qui s’y rapportent sont principalement liés au fait de se battre, de s’agiter, de se défendre.
Aucun problème avec le fait que le débat renvoie à la notion de dissensus, qui est en fait au cœur de la démocratie. Non, ce qui pose problème, c’est que chacun des débatteurs défende son bifteck en ne voulant rien concéder – ou si peu – à la partie adverse, et d’autant plus âprement s’il y a un public : plutôt raconter n’importe quoi pour sauver la face plutôt que d’admettre ses erreurs de raisonnement et de se remettre en cause.
Un débat est une sorte de spectacle de catch à l’issue duquel aucun partisan n’aura changé d’opinion, et donc à l’issue duquel au moins l’un des camps (voire tous) restera aussi bête qu’auparavant. À la marge, parfois, quelques spectateurs ouverts dont l’opinion n’était pas vraiment tranchée au départ pourront pencher davantage vers une position ou l’autre.
On notera que dans notre pays prétendument démocratique, le peuple est exclu du débat politique et se retrouve soit confiné dans un rôle de spectateur passif, soit sommé de prendre position de manière binaire sur les sujets imposés par les gros médias, eux-mêmes sous influence des pouvoirs politique et économique. Occasionnellement, on l’invite à participer à des débats bidon en mode « cause toujours » pour changer un peu du mode « ferme ta gueule » et éviter ainsi lassitude et révolution.
Quant aux débats entre partis de gauche (mus par leur logique partidaire et électoraliste), ils oscillent entre deux modes. Soit le mode classique : ces débats sont alimentés et mis en scène de manière spectaculaire afin de créer du buzz (pour gagner en visibilitémédiatique) et du clash (pour se distinguer de la concurrence électorale). Soit le mode unitaire : ils sont pudiquement évités pour conjurer les divisions dans les phases où l’union semble nécessaire pour remporter des élections.
Quoi qu’il en soit, les débats sont rarement constructifs, et plus rarement encore productifs. En effet, que reste-t-il de la quasi-totalité des débats après coup ? Quelques petites phrases ou bons mots, quelques mèmes Internet supplémentaires, et trop souvent rancœur et hostilité entre individus ou groupes.
Censés être ce qui nourrit la démocratie, les débats ne sont généralement que des spectacles stériles voire mortifères.
Mais alors quoi d’autre ? Voici une modeste proposition lexicographique : le « cobât » (prononcer : « koba »). Quésaquo ? Non, le cobât n’est pas une espèce de se-pent à lunettes, ni un é-ément chimique méta-ique. Ce mot est construit sur le modèle de « débat », basé sur le préfixe « co- » (avec) et le radical du verbe « bâtir » (au sens premier et couturier de tisser ou d’assembler les pièces d’un vêtement) ; on peut le rapprocher de « co-construction » et de « coopération » (œuvrer ensemble).
Bon, c’est bien gentil de faire mumuse avec le dictionnaire, mais concrètement, c’est quoi l’idée derrière le « cobât » ?
C’est d’imaginer et d’expérimenter de manière très concrète et pratique d’autres façons de discuter et de confronter des points de vue divergents dans une perspective constructive d’éducation populaire, d’émancipation et de démocratie.
Quels en seraient les prérequis, les conditions de possibilité ? Avant toute autre chose, il faut que les personnes souhaitant participer au projet ait un état d’esprit adéquat : honnêteté intellectuelle, humilité, ouverture d’esprit, capacité de remise en question, un peu de tact…
Quels en seraient les moyens ? Un minimum de rigueur intellectuelle, la recherche la plus exhaustive possible de ce qui se fait déjà, une approche basée sur l’objectivité des faits et l’acceptation des désaccords de fond, de la méthode, une identification des problèmes posés par les débats classiques et la recherche de solutions pratiques par l’expérimentation (en comité restreint puis avec un public plus large)…
Quels en seraient les objectifs concrets ? Produire des analyses, des synthèses, des propositions politiques, des supports, des brochures, des guides pratiques (libres de droits), développer des outils et des techniques démocratiques…
Quels en seraient les enjeux ? Produire de l’intelligence collective à une époque qui en a désormais un besoin vital. Apprendre à gérer le dissensus pour en tirer des leçons utiles à la transformation sociale et à l’émancipation individuelle et collective. Lutter contre le fléau de la dépolitisation de masse et redonner goût à la démocratie à une population demandeuse mais écœurée par les mensonges et les trahisons de la république bourgeoise.
Ce n'était qu’un débat, commençons le cobât !
P-S : Les personnes intéressées peuvent contacter le journal qui fera suivre.


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À propos de l'auteur(e) :

Un radis noir

Être radical, ce n’est pas être extrémiste ni fanatique : c’est s’intéresser à la racine des choses… À la racine des mots, pour pouvoir aiguiser les idées et les concepts… À la racine des maux, pour pouvoir espérer y remédier.


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