Mode sombre

Malgré les efforts indéniables des partis de gauche pour s’entredéchirer et ceux des partis de droite pour accaparer les propositions de l’extrême droite, force est de constater que le fascisme a le vent en poupe. Viktor Orban dirige la Hongrie sans partage, Georgia Meloni préside le gouvernement italien et Mateusz Morawiecki est premier ministre de Pologne ; l’extrême droite participe au gouvernement en Slovaquie, en Finlande et en Israël, et arrive largement en tête des très récentes élections législatives néerlandaises ; en France, 89 députés sont membres ou affiliés du Rassemblement National ; Javier Milei vient d’être élu président de l’Argentine et Donald Trump pourrait bien être le candidat républicain des prochaines élections états-uniennes. 

Mais à bien y regarder, l’extrême droite ressemble bien davantage à une nébuleuse qu’à un bloc homogène.

Et cela pour la simple raison que le principal point commun de tous ces partis est aussi celui qui les oppose : le nationalisme. Comment peut-on être nationalistes et trouver une cohérence au sein d’une internationale ? L’extrême droite européenne s’est réunie à Florence début décembre pour adopter une stratégie commune en vue des élections de juin prochain mais déjà en 1934 le congrès international fasciste de Montreux avait été un tel échec qu’il fut très vite oublié. Cette alliance ne peut être que de façade et révèle l’imposture des ultra conservateurs. Le fascisme, même si une fois au pouvoir Mussolini a vite cédé aux pressions des industriels italiens, était d’abord une idéologie d’inspiration socialiste fondée sur l’Etat totalitaire et le culte de la personnalité, sur l’impérialisme et la pureté ethnique, mais aussi sur la croyance absolue dans le progrès de la science et sur le contrôle de l’économie au service de la Nation. 

Les partis d’extrême droite d’aujourd’hui prônent certes tout cela, mais à l’approche de leur arrivée au pouvoir le masque commence à glisser. En France le Rassemblement national a abandonné son refus de l’Europe et de la monnaie unique. En Italie, la coalition menée par Georgia Meloni s’est vite accommodée des institutions européennes et les condamnations du régime de Viktor Orban sont si timides qu’on les entend à peine. Car en réalité cette extrême droite est avant tout ultra libérale.

Sa seule idéologie est celle du libertarianisme, néologisme inventé aux Etats-Unis à partir du mot français libertaire, mais pour désigner un concept bien éloigné de l’anarchisme. Si les libertariens refusent eux aussi l’autorité de l’Etat c’est pour mettre en place un monde sans autres règles que celles des plus forts sous couvert de liberté individuelle, et en l’occurence en économie, la liberté totale des marchés. Alors que rappelons-le, l’anarchisme vise à remplacer l’autorité de l’Etat par des processus locaux de négociation permanente afin d’élaborer et d’adapter les règles de la vie sociale et économique sans les restrictions imposées par les luttes de pouvoir au sein des partis et des assemblées dites représentatives. Imposture qui permet au Huffington Post d’écrire que Javier Milei est un anarchiste de droite, et à Pascal Praud dans un entretien au Parisien d’avouer qu’au fond, il est surtout anar (sic).

La loi du plus fort, on la connait, elle est de plus en plus présente, avec ou sans parti d’extrême droite ou fasciste parce que parfaitement compatible avec Emmanuel Macron, Olaf Scholtz ou Ursula von der Leyen… La destruction des services publics, l’arbitraire de la justice, la corruption généralisée, les atteintes au droit du travail visent bien le même but : les plus forts doivent toujours l’emporter, même si en attendant la “révolution fasciste“, il faut souvent tricher un peu. Ou beaucoup.

Les élus et caciques des vieux partis politiques sont encore les seuls à l’ignorer : la ligne de démarcation politique ne sépare plus la droite de la gauche, mais les partis attentistes de ceux qui prônent la rupture. Chez nous, seuls le Rassemblement national et la France insoumise sont sur cette ligne. Le RN est prêt à “trahir“ en cédant au marchandage avec le libéralisme financier, LFI affaiblie par ses luttes intestines a bien du mal à résister aux attaques des attentistes de gauche, de Fabien Roussel à Bernard Cazeneuve.

Au milieu de la tempête, attachés au mat du bateau, les partisans du consensus politique ont oublié qu’à ménager la chèvre et le chou, la chèvre finit toujours par manger le chou.


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À propos de l'auteur(e) :

Jean-Luc Becquaert

Né dans une famille aimante et néanmoins de droite, j'étais destiné à une (brillante) carrière de DRH ou de responsable qualité dans la grande distribution. Ma rencontre à 18 ans avec l’éducation populaire dans une cave du XVIIIème (siècle) transformée en théâtre m’a définitivement détourné du libéralisme. Aujourd’hui, mon seul point commun avec Jacques Chirac, c’est le goût de la bière et de la tête de veau.


Anarchiste touche à tout et promeneur solidaire.

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