Mode sombre

Voici l’édito de notre numéro papier de janvier qui s’est écoulé comme des madeleines à l’heure du thé chez Marcel (on avait d’abord pensé à comme de l’imodium en pleine gastro et puis, on s’est dit qu’un peu de culture haut de gamme ne nous ferait pas de mal pour gagner quelques lecteurs du côté de la Revue des deux Mondes).

Hé oui ! On a survécu à 2023 ! Enfin pas tous, évidemment… RIP François Léotard, Denis Kessler, Silvio Berlusconi, Theodore Kaczynski, Evgueni Prigojine, Jacques Julliard, Jean-Pierre Elkabbach, Gérard Collomb, Henry Kissinger…

Oui, je devine ce que vous pensez : qu’est-ce qui a bien pu se produire depuis un an pour que j’attaque directement le premier édito de l’année sur une note aussi optimiste et positive ?

La prise de substances psychotropes, évidemment… (À nos lecteurs de la police : il s’agit de produits légaux délivrés sur ordonnance par des professionnels de santé, hein ! Et j’en profite pour saluer la médecine psychiatrique publique qui survit malgré les gouvernants austéritaires successifs.)

J’admets néanmoins que le rédac’chef nous a demandé d’« essayer de tourner ce numéro 41 vers l’avenir, d’ouvrir au maximum vers des perspectives sociales encourageantes, de privilégier cette année les expériences qui dégagent des perspectives et les idées qui ouvrent la fenêtre pour nous faire respirer un peu ».

Donc, je vais essayer de faire plaisir au chef, moi ! Contrairement à un certain Léandre qui « ouvre la fenêtre » pour importer dans notre bonne ville de Dole le bon air irrespirable de Gaza aujourd’hui ou de Guernica hier… Tsss… Quelle indignité ! – comme le disait naguère un grand pacifiste (1m66 avec talonnettes et bracelet électronique).

Oui, je suis enfin en phase avec la positive attitude de Lorie (Pester, celle qui chante ; pas Culler, notre chroniqueuse), même si – conformément à mes pronostics – 2023 a bien été une année de merde.

Mais qu’est-ce que j’ai pu en retirer de positif ? Bon, ben déjà, on a appris plein de choses (ou du moins, on en a eu la confirmation)…

Par exemple, que les grosses manifs « saute-mouton » bien ordonnées sous la houlette d’une intersyndicale unie, et ben le gouvernement, y s’en branle complet ! (Du moins, tant qu’il a des flics armés et zélés à sa main.) C’est bon à savoir pour l’avenir…

Que l’exécutif, soi-disant dernier rempart contre l’extrême-droite et ses idées, réalise sa mission avec conviction et créativité. Organiser une manifestation gouvernementale contre l’antisémitisme avec un parti fondé par un milicien et un ex-SS, voilà qui est original ! Servir « sur un plateau d’argent avec près de 280 amendements du RN » un texte qu’il réclame depuis plus de 40 ans, voilà qui est disruptif ! Tellement out of the box que même Le Pen y a vu une « victoire idéologique » du RN !

Que la laïcité était un concept définitivement subtil… Quelques dizaines de jeunes filles en robe longue à l’école : laïcité en péril ! La présidence et le gouvernement qui assistent à une messe du Pape ou qui organisent une fête religieuse juive au Palais de l’Élysée : no problemo !

Que la police savait distinguer le bon manifestant (celui de la FNSEA qui déverse des tonnes de purin sur une préfecture, ou le néo-nazi qui parade dans les rues) du mauvais (l’écolo qui essaye de dégrader un gros trou entouré de tas de terre), et se montrer impitoyable avec celui-ci et clémente avec celui-là.

Que la justice bourgeoi… Heu, républicaine, je veux dire… savait être souple, du moins avec son ministre : jugé par ses potes et ses subordonnés coupable de prise illégale d’intérêt, mais relaxé parce qu’il a pas fait exprès (donc ça va).

Que la désobéissance civile est légitime pour les droites (LR et RN en tête) quand il s’agit de payer 40 000 € d’amende d’un agriculteur FNSEA (donc gentil) avec l’argent du contribuable. Mieux qu’une cagnotte : même pas besoin de demander leur avis aux gens pour prendre leurs sous !

Que tuer volontairement des dizaines d’enfants à la kalach, c’est infiniment plus grave que de tuer des milliers d’enfants par inadvertance en balançant des missiles à l’aveugle. (Oups !) Que condamner ceci ou pas cela, c’est être antisémite. C’est vrai que les demeurés que nous sommes avons encore trop tendance à considérer que tuer des enfants, quelle que soit leur religion, ethnie, couleur ou nationalité, c’est ignoble dans tous les cas.

Que la différence de traitement entre la Russie et Israël ne relève nullement d’un scandaleux double standard : s’attaquer au camp occidental, c’est très très mal ; les autres, on s’en tape !

Aïe ! Le rédac’ chef s’impatiente : ça (re)commence à faire long comme édito, et je n’ai toujours pas parlé de perspectives positives, alors que je n’ai même pas eu le temps de revenir sur la poursuite de la destruction de notre modèle social, la montée de l’extrême-droite dans le monde, l’écocide (ou plutôt l’anthropocide) en cours, etc.

Alors, sans transition, quelques pistes pour bien vivre cette nouvelle année de merde…

Tout d’abord, sortir de la sinistrose. On ne va pas faire le plaisir de sombrer dans la dépression à ces tarés au pouvoir qui nous salopent tout ! Renouons avec la joie ! Ce monde est cul par-dessus tête : remettons le à l’endroit par un grand carnaval populaire permanent ! Risquons-nous au chauvinisme et célébrons allègrement notre mascotte nationale, ce bon vieux coq gaulois, qui, juché sur son monstrueux tas de fumier, les deux pieds dans la merde, chante fièrement, tous les jours !

Et appliquer l’adage altermondialiste : penser global, agir local. Ne nous focalisons pas trop sur les problèmes sur lesquels nous n’avons aucune prise. (Si les Argentins kiffent les barjots fans de Massacre à la tronçonneuse, c’est navrant, mais l’on n’y peut rien). Nous avons un déjà-là dolois encourageant : des associations comme la Bobine ou l’UES, des alternatives comme la Pive, le meilleur canard dolois du monde (illustré par Léandre en plus !), et plein de gens super avec qui discuter, rire, construire…

Et puis, Laurie (Culler, notre chroniqueuse ; pas celle qui chante) a eu vent de projets savoureux pour 2024 : une structuration des luttes antiracistes, un nouveau parti local pour faire de la politique autrement, une fédération de professionnels alternatifs indépendants pour nous émanciper du patronat, un janardin extraordinaire où l’on pourra (entre autres) piloter des brouettes gratuitement, des expérimentations stimulantes d’éducation populaire, des coopérations inédites, du foutage de gueule joyeusement subversif…

Bref, ça va être génial ! Alors tenez le coup, gardez la banane, et pour cette nouvelle année de merde 2024, on vous souhaite une fois encore bon courage et bonne chance !


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À propos de l'auteur(e) :

Uhm

Noir comme la liberté des anarchistes. Rouge comme l’égalité des communistes. Vert comme la fraternité des humanistes. Énervé comme un homme de gauche dans un monde ravagé par le capitalisme. Misanthrope de désespoir.


Un humaniste misanthrope

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