Mode sombre

Le libéralisme est un système économique et politique qui nous condamne à la solitude. La concurrence entre entreprises et entre travailleurs indépendants nous oblige à renforcer nos défenses contre les autres et à attaquer les autres, nos semblables qui n’ont qu’une idée en tête : nous voler des parts de marché ; concurrence entre salariés aussi pour obtenir une promotion, un autre poste convoité par nos collègues, parfois nos ami.e.s. 

Le libéralisme nous oblige à être en guerre contre nos voisins pour obtenir le “juste“ tracé de séparation de nos jardins respectifs. En guerre contre les autres occupants de nos immeubles pour obtenir la “juste“ répartition des frais de copropriété. Le libéralisme nous oblige à accepter sans broncher les prix imposés par les géants de la distribution, et puisque les propriétaires de ces supermarchés sont invisibles nous sommes condamnés à nous en prendre aux employé.e.s du magasin qui eux-mêmes doivent se battre pour travailler pendant les meilleures tranches horaires ou faire en sorte qu’on n’oublie pas de payer leurs heures supplémentaires.

Le libéralisme nous condamne à la solitude, à la guerre, à la paranoïa parce que, suprême victoire de ce système, il nous pousse à défendre cette solitude en nous persuadant que les autres, ces persécuteurs, veulent nous la prendre.

Mais, à bien y regarder, le libéralisme condamne aussi à la solitude ceux-là mêmes qui en vivent. La principale activité des cadres dirigeants est d’anticiper le jour de leur éviction au profit d’un.e plus jeune ou plus cynique ; les membres des cabinets ministériels savent bien que leur vie est épiée et chacun de leurs actes classé dans un dossier qui servira le moment venu au chantage, à la corruption, au harcèlement. Ils le savent parce qu’eux/elles sont condamné.e.s à constituer de même des dossiers sur leurs collègues et leur hiérarchie, pour se défendre. Encore et toujours la guerre.

Pourtant si celles et ceux qui vivent de cette solitude et de cette guerre permanente sont dans la peur contante de la perte de leur pouvoir, quelque chose les effraie bien davantage : la solidarité. Sinon pourquoi s’acharneraient-ils sur les syndicats, les associations, les coopératives, les regroupements dits spontanés ? Pourquoi voudraient-ils capitaliser la sécurité sociale alors que ça fonctionnait si bien quand elle était gérée par ses bénéficiaires ? Pourquoi s’attaqueraient-ils aux enseignants, aux soignants, à la police de proximité, aux travailleurs sociaux, à celles et ceux dont le rôle est d’aider à tisser des liens entre les pires solitudes ?

Cet acharnement pourrait cependant s’avérer vain. Car il n’empêche pas les ZAD de fleurir et de réapparaitre chaque fois qu’une autre est démantelée ; il ne peut rien contre ces micro-réseaux de quartier ou de village pour faciliter le transport, les courses ou la veille des vieux, des malades ou des esseulé.e.s ; il est démuni face à cette association basquaise (ALDA) qui s’impose dans les instances du logement face aux promoteurs et au préfet ; face à l’épicerie Carline à Die gérée par ses clients et ses fournisseurs et qui achète des terres et du matériel pour installer de nouveaux maraichers ; face à la mairie de Plessé dont la “politique agricole communale“ permet aux jeunes de s’installer et de vivre ; face à “Énergie de Nantes“ qui produit de l’électricité grâce à l’engagement de bénévoles ; face aux déserteurs d’AgroParisTech qui rejoignent la ferme collective de Peyregoux ; face aux femmes de la ferme communautaire « Oasis en Séoune“ à Montagudet ; face aux habitants de Prats-de-Mollo qui fêtent le passage à la nouvelle année par un grand banquet dans la rue parce que cette nuit-là, on ne doit pas rester seul.e… 

La solidarité a déjà condamné le libéralisme.


Partage :




Licence Creative Commons Article mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.



À propos de l'auteur(e) :

Jean-Luc Becquaert

Né dans une famille aimante et néanmoins de droite, j'étais destiné à une (brillante) carrière de DRH ou de responsable qualité dans la grande distribution. Ma rencontre à 18 ans avec l’éducation populaire dans une cave du XVIIIème (siècle) transformée en théâtre m’a définitivement détourné du libéralisme. Aujourd’hui, mon seul point commun avec Jacques Chirac, c’est le goût de la bière et de la tête de veau.


Anarchiste touche à tout et promeneur solidaire.

Retrouvez tous les articles de Jean-Luc Becquaert