Mode sombre

Article paru dans le canard papier de novembre, toujours disponible chez Mumu, la Fleur de Sel, place aux Fleurs à Dole.

Pour ce numéro 39 des Libres commères, le rédac chef avait indiqué que l’actualité nous inspirerait… Mille sabords, les infos nous arrivent chaque jour plus chargées que la veille et à ce rythme, quand le journal sera chez vous, l’actualité sera à coup sûr déjà bien périmée. J’étais en train de chercher une excuse pour me défiler, genre je dois faire la récolte de noix de toute urgence, quand je me suis rappelé un temps où l’actualité s’appelait « les nouvelles », d’ailleurs dans les pays anglo-saxons, cela s’appelle toujours « news ». Or tous ces événements qui ensevelissent notre pensée, offrent-ils vraiment quelque chose de nouveau ?

Qu’y a-t-il de neuf dans le massacre de civils innocents à seule fin d’hégémonie territoriale ? Qu’y a-t-il de neuf dans la volonté du dirigeant d’un pays de détruire un pays voisin au risque de mettre en danger de mort sa propre population ? Qu’y a-t-il de neuf lorsqu’une bande sanguinaire met tout à feu et à sang au prétexte cynique de la défense des libertés ?

Faut-il s’étonner que les pays occidentaux dont les dirigeants croient encore en leur puissance mondiale pourtant en lambeaux, soient incapables d’adopter une position à la hauteur de la montagne de victimes innocentes ? Faut-il être surpris des outrances et de l’ignorance d’un ministre de l’intérieur qui se voit déjà président ? Est-ce nouveau que des élus au service de milliardaires envisagent de faire travailler gratuitement les laissés pour compte de leur progrès et de notre déchéance ? Est-ce nouveau de décider de la construction d’une autoroute inutile et destructrice pour satisfaire le caprice d’un potentat local (1) ?

J’en étais là de ma déprime quand au hasard du rangement de ma bibliothèque, je retrouvais un petit livre qu’un dénommé Élisée Reclus avait écrit en 1870, réunissant « Histoire d’un ruisseau » et « Histoire d’une montagne ». Il y a plus de 150 ans, un homme avait décrit une goutte d'eau à la fois comme partie de l’univers et synthèse de l’univers tout entier. Il y a 150 ans, cet homme a écrit ce qui nous semble encore nouveau sous la plume d'Hubert Reeves et d’autres parfois anonymes qui disent eux aussi que « l’homme est la nature prenant conscience d’elle-même ». (2)

On continue de vouloir accueillir des millions de migrants malgré la répression sans précédent que le fascisme libéral veut imposer pour cacher que la solidarité existe. Nous connaissons tous des personnes qui ont choisi de refuser les aides sociales et le chômage sous contrôle pour vivre dans des communautés ignorées des pouvoirs. Nous nous accrochons à la musique, la poésie et l’émotion d’être ensemble parce que c‘est le rempart le plus solide contre l’oppression qui unit les femmes iraniennes, les migrants de Calais, les combattants du Kurdistan, les enfants de la Shoah et ceux d’Al Andalous, les indiens du Chiapas et les Ouïgours, les femmes et les enfants maltraités par les mâles partout dans le monde et celles et ceux poussé.e.s au suicide par la bêtise et l’ignorance.

Nous vivons une fin de civilisation bien étrange.

Des individus de moins en moins nombreux poursuivent la destruction du monde en le criant haut et fort sur des médias hégémoniques qu’ils contrôlent totalement, et d’autres en nombre croissant construisent briques à briques un avenir, sans doute incertain mais ultime chance de notre survie, dans la discrétion choisie de vidéos diffusées sur le net et de magazines distribués dans les bistrots. Si la débauche d’argent sert à cacher la fin d’un monde, il se pourrait bien que la force de la solidarité fasse apparaître en pleine lumière qu’un autre monde est non seulement possible, mais qu’il existe déjà.

  1. L’autoroute Toulouse Castre n’a d’autre justification que relier la capitale régionale au siège des laboratoires Pierre Fabre.

  2. Élisée Reclus dans « l’Homme et la terre » paru en 1905.




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À propos de l'auteur(e) :

Jean-Luc Becquaert

Né dans une famille aimante et néanmoins de droite, j'étais destiné à une (brillante) carrière de DRH ou de responsable qualité dans la grande distribution. Ma rencontre à 18 ans avec l’éducation populaire dans une cave du XVIIIème (siècle) transformée en théâtre m’a définitivement détourné du libéralisme. Aujourd’hui, mon seul point commun avec Jacques Chirac, c’est le goût de la bière et de la tête de veau.


Anarchiste touche à tout et promeneur solidaire.

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